HUN-1992-S-002
a)  Hongrie / b)  Cour constitutionnelle / c) / d)  26-05-1992 / e)  30/1992 / f) / g)  Magyar Közlöny (Journal officiel), 53/1992 / h) .
 
Mots-clés du thésaurus systématique:
 
 
Principes généraux - Démocratie.
Principes généraux - Nullum crimen, nulla poena sine lege.
Principes généraux - Proportionnalité.
Principes généraux - Interdiction de l'arbitraire.
Droits fondamentaux - Problématique générale - Limites et restrictions.
Droits fondamentaux - Droits civils et politiques - Liberté d'expression.
 
Mots-clés de l'index alphabétique:
 
Discours haineux / Haine, incitation.
 
Sommaire (points de droit):
 
La liberté d'expression est le "droit général" dont découle les droits fondamentaux dans le domaine de la communication. La liberté d'expression des idées et convictions, comme la liberté de manifestation d'opinions impopulaires ou inhabituelles, est fondamentale dans une société pluraliste et démocratique. La limite constitutionnelle de la liberté d'expression doit être définie de manière telle qu'en plus du droit subjectif à la liberté d'expression, il est nécessaire de prendre en compte la (libre) formation de l'opinion publique, comme principe démocratique fondamental.
 
Résumé:
 
Les requérants ont demandé un contrôle de constitutionnalité rétroactif de l'article 269 de la loi IV de 1978 sur le Code pénal.
 
L'article 269.1 prévoit que toute personne qui, devant un public important, incite à la haine contre la nation hongroise, devant des personnes d'une autre nationalité, appartenant à un autre peuple, d'une autre religion ou race, ou contre certains groupes de la population, commet une infraction passible de trois ans de prison. En vertu du paragraphe 2 du même article, toute personne qui, dans des circonstances similaires, use d'une expression insultante ou dégradante, ou se livre à des actes similaires contre les groupes susvisés, est coupable d'un délit passible d'une peine d'une année de prison, d'une condamnation à une formation rectificative ou d'une amende.
 
Les requérants ont allégué, entre autres, que l'article 269 était inconstitutionnel car il réprimait des comportements relevant de la liberté d'expression et de la presse, en vertu de l'article 61 de la Constitution, de la liberté de pensée, protégée par l'article 60 de la Constitution, et du droit d'asile tel que défini par l'article 65 de la Constitution.
 
En étudiant la question de la constitutionnalité de l'article 269 du Code pénal, il s'est avéré nécessaire d'étudier la ligne de partage entre la liberté d'expression et de la presse d'une part, et les comportements prohibés considérés comme délictueux et réprimés par la loi de l'autre. Il était important de déterminer dans quelle mesure, et à quelles conditions, un droit constitutionnel fondamental pourrait être limité ou restreint et, dans le cas où un conflit surviendrait entre deux droits de ce type, sur la base de quels critères l'un aurait priorité sur l'autre. L'État ne pouvait limiter un droit fondamental qu'en vue d'en protéger ou d'en réaliser un autre, si telle restriction était proportionnelle, et même dans ce cas, le législateur était tenu d'utiliser des moyens moins coercitifs dont il disposait pour atteindre ses objectifs. Il n'était pas possible d'imposer des restrictions arbitraires, injustifiées ou disproportionnées par rapport à l'objectif à atteindre.
 
Les restrictions apportées à la liberté d'expression et de la presse en vertu de l'article 269.1 étaient justifiées par l'effet préjudiciable pour certains groupes, tel qu'avéré historiquement, de l'incitation à la haine, de la protection des valeurs constitutionnelles fondamentales et de l'exécution par la Hongrie des obligations lui incombant en vertu des traités auxquels elle est partie. En outre, l'impact sur, et les conséquences pour, un individu et la société du comportement prohibé étaient si graves que d'autres formes de responsabilité (par exemple, la responsabilité civile) ne convenaient pas dans le cas des personnes incitant publiquement à la haine raciale. En conséquence, puisque seule une sanction pénale permettait de sanctionner efficacement ce comportement, il était important de déterminer rigoureusement quelles infractions en matière d'incitation à la haine raciale étaient passibles d'une sanction pénale: ainsi, il est possible de n'appliquer les sanctions pénales que comme absolument nécessaires et uniquement comme justifiées, conformément au principe de proportionnalité si, comme en l'espèce, il n'existe pas d'autres moyens de protéger l'État en vertu de l'État de droit et conformément à ses objectifs, ainsi qu'à ses valeurs dans le domaine économique et social.
 
En outre, l'article 269.1 était suffisamment précis et ne définissait pas trop largement le comportement faisant l'objet de la sanction pénale. Le droit pénal constitutionnel exigeait que la disposition incriminant un type de comportement donnant lieu à l'application d'une sanction pénale soit spécifique, clairement définie et délimitée. Ainsi, une expression claire de l'intention du législateur concernant le contenu de l'acte illégal était également nécessaire. La définition de l'infraction devait contenir un message non équivoque indiquant à quel moment un certain nombre de faits constituent une infraction, tout en minimisant, dans le même temps, les possibilités d'interprétation arbitraire par les personnes en charge de l'application de la loi. L'incitation à la haine incluait les comportements susceptibles de susciter au sein de la majorité de la population des émotions tellement intenses qu'elles pourraient entraîner des troubles de l'ordre et de la paix sociale; à cela s'ajoute également le danger de violations des droits de l'homme à grande échelle. En gardant à l'esprit le danger pour les droits individuels et, par ce biais, la menace pour l'ordre public, les limitations à la liberté d'expression prévues par l'article 269.1 devaient être considérées comme nécessaires et proportionnelles et, de ce fait, conformes à la Constitution.
 
L'article 269.2 du Code pénal était toutefois inconstitutionnel. La liberté d'expression ne pouvait être limitée que par des contraintes externes: à moins que, et jusqu'à ce qu'elle se heurte à cette limite externe, prévue par la Constitution, l'occasion et le fait de l'expression d'opinions étaient protégés quelle que soit la valeur ou la véracité des contenus. La Constitution garantissait la liberté de communication (en tant que manifestation d'un comportement individuel et comme processus social) et ce n'est pas à son contenu que se rapportait le droit à la liberté d'expression. Bien que chacun ait été en droit de soutenir une opinion, ou de s'y opposer, sous réserve qu'un quelconque autre droit n'ait pas été violé de sorte que la liberté d'expression recule, l'article 269.2 ne définissait pas de frontière externe; au lieu de cela, il classait les opinions en fonction de leur contenu. Le message véhiculé par certains mots était si clairement lié à une situation et un contexte culturels donnés (susceptibles de changer) que la définition abstraite et hypothétique d'une expression insultante ou dégradante (à défaut d'atteinte effective à la paix publique) constituait une simple hypothèse qui ne justifiait pas suffisamment la restriction des limites externes, c'est-à-dire, la violation d'un autre droit, qui était, en elle-même, incertaine.
 
En outre, il fallait faire une nouvelle distinction entre l'incitation à la haine telle que réprimée par l'article 269.1 et l'utilisation d'expressions insultantes ou dénigrantes en vertu de l'article 269.2. En dehors des réunions publiques, "le grand public" désigne en fait la presse. La liberté d'expression signifiait désormais que quiconque s'exprimant publiquement ne saurait invoquer une contrainte externe, et que tout journaliste ou tout auteur risquait par ses écrits la mise en cause totale de sa crédibilité morale. Tout individu usant de termes calomnieux ou moqueurs serait réputé comme tel: il devait être répondu à ces propos abusifs par des sanctions pour lesquelles le paiement de dommages importants seraient considérés comme adéquats. Comme indiqué précédemment, les sanctions pénales pourraient être appliquées pour la défense d'autres droits, et uniquement lorsqu'elles s'avéreraient inéluctablement nécessaires. Elles ne devaient pas être utilisées comme moyen de façonner l'opinion publique ou de poser les termes du débat politique. En conséquence, l'article 269.2 devait être déclaré nul et non avenu.
 
Langues:
 
Hongrois.